Ce lundi 16 novembre, le premier ministre du Québec ainsi que le ministre responsable de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques dévoilaient la nouvelle version du Plan pour une économie verte (PEV). Avec l’électrification des transports comme fer de lance, le gouvernement attribuera une enveloppe de 3,6 G$ d’investissement sur 5 ans pour le secteur du transport, soit plus de 50 % du budget total du Plan de mise en œuvre 2021-2026 du Plan pour une économie verte 2030 (6,7 G$).
Un secteur responsable de 43,3 % des émissions de GES au Québec et encore en hausse
Entre 1990 et 2017, bien que l’on observe une tendance à la baisse globale des émissions de GES de 8,7 % dans la province, les émissions du secteur du transport ont augmenté pour atteindre 34,06 Mt éq. CO2 (+23,0 % sur la période). C’est la plus forte augmentation observée, puisque tous les autres secteurs voient leurs émissions en baisse, à l’exception de l’agriculture (7,72 Mt éq. CO2, soit +11,0 %).
Selon le scénario de statu-quo, l’augmentation des émissions de GES du secteur du transport – et dans une moindre mesure de celui de l’agriculture – neutraliserait l’effort général de réduction et entraînerait même une hausse de 5 % entre 2017 et 2030, nous ramenant à un niveau d’émissions proche de 1990. Cela suppose donc d’opérer une transformation profonde et radicale du secteur du transport.
Des mesures suffisantes?
Au vu de l’urgence de transformer en profondeur le système de transport québécois, il est ainsi légitime de questionner la pertinence des actions proposées par le Gouvernement notamment vis-à-vis des trois principes de la mobilité durable : réduire, transférer et améliorer (RTA):
- Réduire la demande en transport;
- Transférer des déplacements en auto (solo principalement) vers d’autres modes de transport comme les transports collectifs, la mobilité active ou encore la mobilité partagée;
- Améliorer les modes existants dont principalement l’électrification des voitures individuelles.
L’équipe de Jalon a donc passé en revue l’investissement quinquennal de 3,6 G$ avancé par le Gouvernement du Québec pour le secteur du transport selon ces principes.
Investissement quinquennal selon l’approche RTA
On observe ainsi que la stratégie d’investissement du Gouvernement vise principalement à convertir le parc automobile à l’électrique (⅔ de l’effort d’électrification) ainsi que les bus (⅓ de l’effort). L’électrification des véhicules représente ainsi 61 % du budget tandis que les investissements visant à encourager le transfert vers des mobilités plus durables sont de 38 % du budget, essentiellement au bénéfice de l’offre de transport collectif.
Alors que l’électrification et l’optimisation de la consommation d’énergie permettent certes de réduire les émissions de GES liées à l’utilisation d’un véhicule, ces solutions ne sauraient être, à elles seules, vecteur de la transformation profonde du système de transport nécessaire à l’atteinte des objectifs définis pour la lutte contre les changements climatiques. Par ailleurs, l’efficacité en matière de réduction d’émissions de GES par $ dépensé pourrait aussi être questionnée : 1 $ dépensé à subventionner l’achat d’une voiture électrique individuelle est-il aussi performant que 1 $ dépensé pour le développement de l’autopartage, du transport collectif ou pour des changements réglementaires en matière d’aménagement du territoire…
Des bonus-malus comme outil de correction des marchés
Bien que certaines mesures coercitives appliquées ailleurs, notamment en Europe, aient démontré leur efficacité, le gouvernement a partagé sa volonté de ne pas aller dans la direction de l’éco-fiscalité ou de mécanismes de « bonus-malus ». Il évoque la volonté de ne pas alourdir le fardeau fiscal dans un souci d’équité. Le gouvernement compte donc sur les mécanismes organiques du libre marché et sur ses aides à l’achat pour orienter le citoyen mais aussi l’entrepreneur.
Cette lecture des bonus-malus pourtant mériterait d’être approfondie puisque ce sont des mécanismes indispensables dans un marché imparfait.
Tout d’abord, les malus ne sont pas une taxe lorsqu’ils vont de pair avec les bonus. Ils sont un mécanisme de correction des imperfections du marché. Les malus ne sont pas non plus à considérer uniquement pour l’individu et le grand public, mais aussi pour des secteurs d’activités tels que celui du transport de marchandises par exemple. En effet, les acteurs du secteur seraient probablement favorables à ce type de mesures à condition que l’argent perçu serve au développement d’innovations pour leur secteur.
Par ailleurs, les externalités négatives ne sont pas suffisamment intégrées et comptabilisées dans les modèles économiques actuels. De ce fait, il apparaît plus facile et rentable pour une entreprise de ne pas se tourner vers des options permettant la réduction des émissions de GES ou de toute autre nuisance. Rouler en camion électrique, lorsque c’est possible, coûte plus cher. Utiliser des emballages compostables aussi, tout comme produire des légumes en polyculture biologique. Il est ainsi difficile pour les entreprises, et donc l’offre, d’évoluer en ce sens : les règles du jeu sont inappropriées, la mise en place de bonus-malus permettrait de les ajuster.
Des mécanismes de régulation pourtant compatibles avec l’équité sociale
Si la volonté de l’équité fiscale du Gouvernement est louable, il est toutefois important de souligner que la mise en place seule de bonus est tout aussi inégalitaire. En effet, les bonus à l’achat d’une voiture électrique profitent très majoritairement aux catégories socioprofessionnelles les plus avantagées, à savoir des hommes de 46 à 55 ans ayant un salaire de plus de 70 à 80 k$ par an (1). Vu sous cet angle, la stratégie actuelle d’électrification de la voiture individuelle est bien peu équitable et aura finalement tendance à stigmatiser les citoyens les moins favorisés qui ne peuvent pas s’acheter de voiture électrique et qui devront attendre le marché de la seconde main avant de se débarrasser de leur voiture thermique. Un système de bonus et malus permettrait d’intégrer davantage une dimension d’équité sociale en étant modulaire et adapté.
Accompagner les citoyens vers un changement des comportements
Rappelons que, selon l’approche RTA, il est primordial de viser en premier lieu la réduction de la demande et les changements de comportements pour des résultats plus probants en matière de lutte contre les changements climatiques. À cet effet, le gouvernement devrait investir massivement dans la formation et la pédagogie, un volet pourtant peu présent du PEV. Accompagner le citoyen dans la modification de ses comportements, notamment en lui fournissant des outils tels que ceux développés par les membres du chantier auto solo, est essentiel pour l’orienter dans ses choix et représente sans nul doute la clé pour une transition vers une mobilité plus durable. Or le plan actuel manque de mesures pour réglementer la publicité ou encore de crédits d’impôts pour encourager la sensibilisation, la formation, et inciter les entreprises à adopter des démarches favorisant le développement de la mobilité durable auprès de leurs employés. .
Si ce plan est historique, notamment car il est chiffré et révisé annuellement, la partie concernant le transport ne vise qu’une réduction de 4,2 MTeq. de GES en 2030 ce qui est loin des engagements, des objectifs et des recommandations des climatologues. Pourtant, il existe de nombreux projets développés par des acteurs locaux du secteur qui, par le déploiement à plus grande échelle, permettraient de changer profondément les structures établies pour une mobilité plus durable et répondre davantage à l’urgence climatique. Nous invitons le Gouvernement à considérer ces projets lors de la révision annuelle du Plan.