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Réduire notre dépendance à l’auto en stimulant le VAE : pourquoi, comment?

vélo

Cette période de fin d’année est marquée par de nombreuses annonces concernant la transition écologique, la mobilité durable en particulier. Le Plan pour une économie verte 2030 du Gouvernement du Québec propose ainsi, entre autres mesures, la création ou la poursuite d’incitatifs à l’achat de véhicules électriques, tandis que le Plan climat de Montréal 2020-2030 vise par exemple la réduction de 25 % des déplacements en auto-solo.

On constate un paradoxe entre d’une part, la province qui pousse à l’achat de véhicules automobiles électriques et d’autre part, des municipalités qui cherchent à réduire l’usage des véhicules automobiles. Puisque rien ne vise à réduire le taux de possession de véhicules, comment, dès lors, limiter leur utilisation ? Quel mode de transport propre a le potentiel de remplacer l’automobile, électrique ou non, pour les déplacements de tous les jours?

 

L’omniprésence de l’automobile au Québec

Selon les données du recensement de 2016, on observe que l’automobile est le mode de transport privilégié par les Québécois.es pour les déplacements domicile-travail (environ 20% des déplacements), quelle que soit la distance à parcourir (Figure 1). 

Figure 1: Choix modal des Québécois.es âgé.e.s de 15 ans et plus selon la distance entre leur domicile et leur lieu de travail (données: Statistique Canada – Recensement 2016; traitement: Jalon)

La marche apparaît comme un moyen de déplacement pratique pour les très courtes distances, mais est vite devancée par l’utilisation de l’automobile pour les trajets de plus de 2 km, distance au-delà de laquelle le choix de l’automobile s’impose alors pour plus de 75 % des déplacements. 

Le transport en commun entre alors en compétition avec l’automobile sur des distances comprises entre 2 et 6 km avant de laisser sa place à l’automobile. Quant au vélo, sa part modale est marginale, tout au plus s’établissant à 4 % des déplacements. Il est le plus souvent choisi pour des distances de 2 km, sans doute une distance pour laquelle la marche paraît trop lente et le transport en commun peu pratique. Au-delà de cette distance, sa part modale recule.

 

Le potentiel du vélo pour les déplacements utilitaires

 

On nomme souvent le transport en commun comme solution alternative à privilégier face à l’automobile. Or, il est avéré que les navetteurs délaissent le transport en commun, faute d’une offre insuffisante; c’est notamment le cas dans les quartiers à faible densité, soit éloignés des centre-ville, où le service de transport en commun est moins fréquent, voire irrégulier, ou encore nécessite des transferts, donc de l’attente supplémentaire. On se rabat alors sur l’automobile, alternative perçue comme plus performante pour parcourir des distances souvent bien courtes.

Le vélo représente-t-il une alternative intéressante ? Tout comme l’automobile et la marche, le vélo permet de se déplacer de point à point. Comme la marche, il est agile et indépendant des aléas de la congestion routière. Comme l’automobile, il est plus rapide que la marche. Tout cela lui confère fiabilité et efficacité. Enfin, il est beaucoup moins vorace en espace et en énergie que n’importe quel autre mode de déplacement, en excluant la marche bien entendu.

L’attitude des Québécois.es envers le vélo semble d’ailleurs indiquer un fort potentiel quant à son utilisation pour les déplacements domicile-travail (figure 2). On observe en effet que:

  • la marche a le plus fort potentiel en-deçà de 1,5 km;
  • le vélo a le plus fort potentiel entre 1,5 et 5 km; 
  • le transport en commun a le plus fort potentiel entre 5 et 13,5 km;
  • l’automobile a le plus fort potentiel au-delà de 13,5 km.

Figure 2: Utilité relative des modes de déplacements selon la distance entre le domicile et le lieu de travail des Québécois.es agê.e.s de 15 and et plus (données:Statistique Canada – Recensement 2016; traitement: Jalon)

On comprend donc que, au vu de la répartition modale actuelle et malgré un potentiel d’utilisation très élevé sur des distances comprises entre 1,5 et 5 km, le choix du vélo (conventionnel ou à assistance électrique, aucune distinction n’étant faite dans le recensement) comme mode de déplacement n’est que rarement fait. On pourrait même supposer que le potentiel est encore plus grand pour un vélo à assistance électrique (VAE) puisque celui-ci permet de parcourir de plus longues distances à effort égal.

 

Mais alors que le vélo présente un fort potentiel pour les déplacements domicile-travail, comment inciter les Québécois.es à le choisir? Quels programmes incitatifs sont mis en place, au Québec et ailleurs? Sont-ils suffisants?

 

Des incitatifs financiers pour stimuler l’utilisation du VAE

En novembre 2020, le Gouvernement du Québec dévoilait son Plan pour une économie verte 2030 à travers lequel un investissement de 3,6 G$ était proposé pour le secteur du transport sur la période 2021-2026. La majeure partie de cet investissement, soit 53 %, vise à convertir le parc véhiculaire thermique québécois en un parc véhiculaire électrique par l’allocation, entre autres, d’incitatifs financiers tels que des subventions à l’achat de véhicules électriques. 

Aucun incitatif financier n’est cependant proposé pour l’achat de vélos standards ou à assistance électrique, pourtant des modes de déplacements dont l’empreinte carbone et l’empreinte physique sont des moindres.

Outre la question d’une meilleure planification et conception des aménagements cyclables dévolue aux municipalités, l’utilisation du vélo comme mode de déplacement de tous les jours peut être encouragée par les instances gouvernementales en rendant ce mode de transport abordable, en accompagnant les nouveaux.elles utilisateur.rice.s dans sa découverte ou encore en les récompensant pour son utilisation – comme à Sherbrooke, où les citoyens qui délaissent l’auto-solo pourront prochainement bénéficier de rabais dans les commerces locaux. 

Le VAE offrant de nombreux avantages par rapport au vélo standard, tels qu’une capacité de déplacement sur de plus longues distances pour un effort physique moindre ainsi qu’un potentiel d’utilisation par une plus grande diversité socio-démographique (aînés, navetteurs, entreprises de livraison, etc.), on se concentre ici sur les programmes incitatifs visant le VAE. En particulier, nous nous intéressons ici à la question des incitatifs financiers, car les VAE coûtent en moyenne trois fois plus cher qu’un vélo standard. 

Selon le Transportation Research and Education Center (2019) de l’université d’État de Portland (PSU), il existe quatre grandes structures de programmes incitatifs à l’achat d’un VAE. En voici les trois principales :

  • les subventions d’achat : les participants au programme reçoivent une réduction sur le prix d’achat d’un VAE financée par l’organisateur du programme. 

Ce type de programme est le plus commun et peut être organisé à plusieurs niveaux de gouvernement. Les subventions peuvent être partielles ou totales. 

Par exemple, la ville de Paris, subventionne le tiers du prix d’achat d’un VAE (subvention partielle) avec un plafond de 400 € pour un VAE personnel ou 600 € pour un VAE de type cargo. 

Au Québec, la ville de Laval subventionne la totalité du prix d’achat d’un VAE avec un plafond de 400 $ avant taxes. 

Autre exemple québécois, la ville de Granby qui remet 100 $ à ses résidents pour l’achat d’un VAE neuf (d’autres remises sont disponibles pour les vélos standards, les remises étant plus importantes pour l’achat de vélos usagés). Budgété à hauteur de 25 000 $ la première année, le programme a rencontré un tel succès que le budget a été revu à la hausse d’année en année, pour atteindre 50 000 $ en 2019.

Des propositions ont été formulées ailleurs, sans trouver de succès: en 2017, Démocratie Québec proposait un budget de 250 000 $ pour un programme de subvention à Québec. Au niveau provincial, le Bloc Québécois proposait en 2015 de subventionner l’achat de VAE à hauteur de 500 $ par VAE. Enfin, en 2020, Québec Solidaire avançait l’idée d’une subvention de 500 $ pour l’achat d’un vélo conditionnée à un revenu du ménage inférieur à 50 000 $.

  • les prêts: au lieu de subventionner l’achat de VAE, un gouvernement prête une somme qui doit être remboursée ultérieurement.

Un exemple de ce type de programme se trouve au Royaume-Uni, où un citoyen pourra dès le printemps 2021, emprunter jusqu’à 3 000 £ sans intérêts pour l’achat d’un VAE personnel.

  • les parrainages par l’employeur: les participants au programme ont la possibilité d’utiliser des VAE qui appartiennent à leur employeur.

En plus d’offrir aux employés un choix de mode de transport propre, l’achat d’un VAE est assimilé à une dépense en capital déductible d’impôt pour l’employeur.

Par ailleurs, il existe des programmes qui, au lieu d’inciter directement à l’achat d’un VAE, encouragent son utilisation en récompensant son usage ou en faisant la promotion: 

  • l’indemnité kilométrique: l’employeur prend en charge les frais de transports alternatifs en échange d’exonération d’impôts et de cotisations.

En France et aux Pays-Bas, les barèmes atteignent respectivement 0,25 €/km et 0,19 €/km pour un déplacement à vélo.

Au Québec, un exemple est celui de Coractive Hightech qui remet 5 $ par jour aux employés qui se déplacent à vélo. 

  • le prêt de VAE: un VAE ou une flotte de VAE, dont la propriété est publique ou privée, est mise à disposition gratuitement pour une période d’essai fixe.

Ce type de programme permet, entre autres, d’éveiller la curiosité des citoyens ou employés, de leur permettre de se familiariser avec un VAE ou encore de déterminer son utilité selon leurs besoins avant de se décider quant à un achat.

Aux Pays-Bas, les municipalités de Bergen-op-Zoom et de La Haye avaient mis en place, à partir de 2013 et 2014, un programme de prêt à leurs résidents ou employés  appelé Doorgeeffiets, en partenariat avec des vendeurs locaux. Le prêt était effectué pour une période allant jusqu’à deux semaines, en échange de quoi les participants étaient invités à partager leur expérience via un site consacré à faire la promotion du VAE.

Au Québec, la ville de Saint-Charles-sur-Richelieu propose ainsi 4 VAE en vélo-partage via un abonnement annuel ou pour un trajet simple.

 

La carotte… et le bâton ?

Les VAE représentent un réel potentiel pour la réduction des déplacements en auto. Bien qu’on note un développement des mesures incitatives au Québec pour encourager la transition technologique, leur effet ne saurait être maximal si, en contrepartie, des mesures dissuasives étaient mises en place en parallèle. En effet, pour prendre l’exemple des incitatifs proposés par Transport Canada quant à l’achat de véhicules électriques, Radio Canada rapporte que bien que le programme soit un succès, les Canadiens achètent ces véhicules en nombre insuffisant pour atteindre les cibles d’électrifier 10 % du parc automobile d’ici 2025, 30 % d’ici 2030 et 100 % d’ici 2040.

Par analogie, on peut supposer que des incitatifs financiers seuls ne permettraient pas d’attirer les Québécois.es vers le vélo en nombre suffisant pour réellement opérer à un changement d’habitudes de déplacement. Il s’agirait alors de trouver des mécanismes coercitifs, tels que l’instauration de péages ou de taxes sur les véhicules polluants (réduction de la demande véhiculaire conventionnelle), la création de voies de circulation entièrement consacrées aux véhicules légers et propres (réduction de la capacité routière consacrée aux véhicules conventionnels) et la restriction d’accès de véhicules conventionnels, polluants, lourds ou bruyants à certaines zones urbaines (réduction de la connectivité du réseau routier conventionnel). Autant de mesures qui ont fait leur preuve à l’étranger et dont on peut s’inspirer ici au Québec. 

On ne le dira jamais assez souvent: sans la mise en place de mesures incitatives et coercitives pour diminuer le recours à l’automobile, l’objectif de réduction des GES émis par le secteur du transport demeurera difficilement atteignable au Québec.

Équipe Jalon