16 mars 2020. Les commerces non essentiels s’apprêtent à fermer boutique, alors que les autres mettent en place les premières mesures de distanciation physique. Les citoyens les plus vulnérables sont invités à rester chez eux. Pendant ce temps, les acteurs du projet Colibri de livraison à vélo se mobilisent. Objectif : aider les commerçants locaux à livrer au domicile de leurs clients habituels leurs achats faits à distance.
Deux semaines de collaboration plus tard avec Courant Plus, La Roue Libre, Livraison Vélo Montréal, et Chasseurs Courrier, un projet pilote est mis en place. Son but : proposer aux commerçants de proximité, regroupés par zone géographique, un service de livraison locale à prix abordable (moins de 5 $ par livraison), très rapide (le jour même ou à J+1) et responsable. Le service de livraison est en effet assuré en vélo cargo par des entreprises de l’économie sociale et solidaire ou par les employés d’entreprises de logistique.
Le projet pilote a permis, entre autres, de valider l’équilibre entre la masse critique de demandes de livraison et la capacité de livraison, afin d’assurer un service pleinement efficace à des prix avantageux.
Maintenant que les commerces ouvrent graduellement, il est temps de partager nos résultats après plus de trois mois d’expérimentation. Cet article fait un retour sur les constats de départ sur le terrain qui ont justifiés la mise en place d’un projet pilote; les différents types de livraison et le modèle choisi pour le projet; pour finalement présenter les résultats de l’initiative.
Une solution qui part de plusieurs constats terrain de départ
La volonté d’un modèle vertueux et abordable vient en réponse à plusieurs constats terrain, avant et pendant la pandémie.
Conditions de travail
Les problèmes de précarité et la sécurité des travailleurs du secteur de la livraison et la logistique sont préexistantes à la pandémie, comme plusieurs articles l’ont démontré au cours des derniers mois.
Délai d’expédition
L’augmentation massive du commerce en ligne durant la pandémie (une augmentation de 100 % selon le Conseil canadien du commerce) a aussi entraîné plusieurs retards et problèmes d’expédition.
Prix de la livraison
Finalement, les coûts de livraison pour les petits commerçants étaient parfois un frein majeur, comme l’a démontré l’exemple de cette histoire de commande de café d’une valeur de 16 $ dont la livraison en coûtait 13 $.
Ces trois problèmes (conditions de travail, délais et prix) s’ajoutent à d’autres répercussions négatives liées à la livraison de marchandises comme la congestion, les enjeux de cohabitation et sécurité routière entre les différents usagers, ainsi que la pollution générée (atmosphérique, sonore et visuelle) par les camions de livraison dans les villes.
Le contexte sanitaire a également permis de constater plusieurs autres enjeux concernant:
- Les commerçants : l’augmentation du commerce en ligne se fait au détriment des commerces de proximité. Ces derniers tentent de faire concurrence aux grandes enseignes en déployant leurs propres initiatives de commerce en ligne.
- Les consommateurs : ceux-ci veulent avoir accès à des produits à des prix concurrentiels et toujours plus rapidement.
- Les transporteurs : les transporteurs express ont du mal à suivre la charge de livraison et les conditions imposées par les géants de la marketplace (Amazon en tête). En parallèle, certains messagers et courriers n’arrivaient pas à offrir des prix adaptés aux besoins des commerçants.
En résumé
Les commerces de proximité participent à créer la vie de quartier tant recherchée par les habitants. Les commerçants locaux peinent à rivaliser contre la diversité et les prix des produits, ainsi que les délais de livraison. Pour faire face à cela, les commerçants se lancent dans le commerce électronique afin de proposer leurs produits à un plus large public, mais se confrontent aux défis de la logistique urbaine.
La proposition de Jalon : un service de livraison qui favorise l’achat local et équitable dans toute la chaîne de valeur
En tenant compte des enjeux mentionnés, le choix du vélo cargo ou vélo remorque était évident. Un regroupement d’entreprises équipées en vélos cargo permet de créer une force de livraison décarbonée, composée de différents salariés et offrant l’agilité qu’il faut pour un service rapide à coût intéressant. Ce déploiement rapide a d’ailleurs été rendu possible grâce aux apprentissages du projet de mini-hub Colibri, déployé en septembre 2019.
Ce type d’offre se distingue aussi des deux grands modes de livraison dans ce secteur complexe :
- La livraison « classique» : les transporteurs font une tournée de ramassage en fin de journée et rapportent les colis ou lettres au centre de tri pour ensuite organiser des tournées de livraison de tous les arrivages (un colis peut venir de 3 km comme de 6 000 km). Les prix de livraison unitaire seront concurrentiels (pourvu que le expéditeurs aient suffisamment de volume pour négocier une entente) et peuvent descendre en dessous de 10 $, voire environ 7 $ dans les meilleurs cas.
- La livraison dite en direct, ou encore « point-à-point », qui rappelle le travail des messageries et coursiers. Cela consiste à porter rapidement d’un point A à un point B une enveloppe, une pièce de rechange ou un échantillon à analyser. La vitesse, la fiabilité et une route directe sont les paramètres clés du service. Dans ce cas, le prix oscille entre 15 $ et 20 $ pour une livraison. Toutefois, lorsque ce mode s’appuie sur des « travailleurs autonomes » utilisant leur propre véhicule et carburant, le prix est approximativement de 10 $. L’écart s’explique par la différence du coût d’un travailleur autonome et d’un salarié par l’employeur et par les différences de conditions de travail.
Des résultats probants
Sur une période de deux mois et demi :
- Plus de 6 500 livraisons décarbonées en vélo cargo
- Plus de 100 commerces participants
- Plus de 3 000 Montréalais ont profité du service
- Une distance moyenne de livraison de 2 km
- Un temps de livraison d’environ 10 minutes en moyenne par colis
- Une moyenne de 165 livraisons par jour
- Plus d’un colis sur deux (57 %) a été livré le jour même, le reste (43 %) étant livré à J+1.
Nombre de livraisons par semaine
Il s’agit d’une offre défiant toute concurrence au vu du prix du service. Pour un délai rapide (J+0 ou J+1) et un prix plus bas qu’une livraison classique ou en direct, (soit 5 $ pour le projet pilote contre 17 $ en moyenne pour ce type de service), on réussit à effectuer des livraisons décarbonées. Un véritable tour de force où tous les acteurs sortent gagnant-gagnant.
Donc, ça fonctionne?
Oui, mais pas n’importe où… Le projet pilote a permis d’observer que tous les secteurs ne sont pas égaux. Il est nécessaire d’avoir un territoire avec suffisamment de commerces participants et un haut volume de marchandises à livrer. C’est pour cette raison qu’il est préférable de diviser les zones de livraison en différents secteurs où l’offre sera adaptée à la réalité du terrain.
Il est toutefois impératif, pour assurer la pleine efficacité et l’équilibre d’un service de livraison abordable, rapide et équitable, de ne jamais rouler à vide et de consolider au maximum les cueillettes et livraisons auprès des commerces.
D’ailleurs, le service a permis d’établir que la capacité du vélo cargo permet de réaliser des tournées optimisées de plusieurs heures dans un rayon d’action de moins de 3 à 5 km autour des commerces.
Les commerçants doivent aussi respecter certaines consignes :
- Établir les ordres de livraison avant midi
- Préparer les commandes avant 13 h et être raisonnables sur la taille et le poids des colis.
La suite
Le projet évolue à travers une version plus développée qui prend en considération les apprentissages du projet pilote afin de créer un service pérenne et durable. Le projet a permis de comprendre les besoins des commerçants à travers les différents secteurs commerciaux de Montréal, chacun étant unique par sa densité et ses types de commerces.
Ainsi cette version intégrera :
- Une nouvelle gouvernance de projet qui permettra d’améliorer le service et de simplifier le rôle des commerçants
- Une volonté de développer et d’acquérir une certification ou label de livraison locale décarbonée
- Un service adapté aux besoins du secteur (ex : livraisons uniquement trois jours par semaine, distance de livraison réévaluée, etc.)
- Une offre de service proposée par l’ensemble des livreurs participants au projet
- Une possible intégration de mini-hubs pour faciliter et optimiser la livraison des marchandises (à l’image du projet Colibri)
De plus cette démarche de livraison locale, équitable, décarbonée et accessible sera intégrée à de nouveaux projets pilotes axés sur les services de livraison pour les marchés publics et éventuellement pour les restaurants montréalais.