Dans les dernières années, plusieurs études d’ici et d’ailleurs ont démontré de manière très concrète qu’il existe bel et bien des différences entre la mobilité des femmes et des hommes, qui entraînent des inéquités et déficits de mobilité pour ces dernières. Pourtant, bien que ces enjeux soient largement documentés, ils semblent peu communiqués et intégrés dans les différentes solutions ou planifications de mobilité et d’aménagements publics.
C’est pourquoi Jalon s’est intéressé à la question. Quels sont les enjeux des femmes d’ici? Sont-ils semblables ou différents de ceux de femmes d’autres pays? Quelles sont les pistes de solutions qui pourraient mener à une meilleure équité et mobilité pour tous?
Des enjeux bien documentés
En Europe ou en contexte nord-américain, les enjeux de mobilité sont relativement similaires pour les femmes :
Des déplacements différents, qualitativement et quantitativement
- En plus de leurs déplacements professionnels, les femmes font plus de déplacements que les hommes, principalement pour faire les courses et pour chercher ou reconduire une autre personne (enfants, proches, etc.), et ce même si le partage des responsabilités est plus grand entre les membres du couple.
- Les déplacements des femmes ne sont pas linéaires (point A au point B). Ils comportent souvent des arrêts multiples, qui font partie d’une “chaîne de déplacements”, une réalité qui affecte de manière plus disproportionnée les femmes.
- Leurs déplacements ont aussi souvent lieu entre les heures où les salariés vont au travail ou en reviennent (hors heures de pointe).
- En général, les femmes utilisent davantage le transport collectif et urbain que les hommes. On constate aussi cette tendance chez les femmes en incapacité : selon l’Enquête canadienne de l’incapacité de 2012, les femmes avec incapacité utilisent moins l’automobile et davantage le transport en commun pour se rendre au travail que les hommes avec incapacité.
- Il est démontré que lorsque les infrastructures cyclables sont plus développées et plus sécuritaires (ex. pistes cyclables en site propre), il y a plus de femmes qui font du vélo, et ce, peu importe le quartier.
Facteurs socio-économiques
Plusieurs facteurs socio-économiques peuvent influencer la mobilité des femmes :
- Au Québec, elles gagnent encore largement des revenus inférieurs à ceux des hommes (70 % du revenu médian des hommes, soit 27 100 $ plutôt que 38 700 $ en 2017).
- Elles sont plus nombreuses à avoir un emploi à temps partiel, souvent avec des horaires atypiques, qui complexifient les déplacements.
- Notons aussi qu’il est démontré que les membres de familles monoparentales ont généralement de faibles niveaux de mobilité et ceux-ci sont souvent aggravés si la cheffe de famille est une femme. Leur capacité à se déplacer est alors fortement tributaire d’une offre en transport qui leur est accessible.
Il est donc important de comprendre l’aspect systémique des choix de mobilité : ils influencent plusieurs autres décisions (logement, études, travail, garderie, etc.), qui à leur tour auront des répercussions importantes sur les options de mobilité. La mobilité est donc un facteur essentiel de conciliation famille-travail-études, de santé globale, d’autonomie économique, de participation sociale et de qualité de vie générale des femmes.
Sentiment d’insécurité et harcèlement
Souvent cités en tête de liste, mais pourtant peu documentés de manière officielle, le sentiment d’insécurité ressenti et les situations de harcèlement vécues par les femmes dans l’espace public (incluant les transports, les rues, les stationnements) conditionnent plusieurs choix de mobilité.
Ce sentiment peut avoir de fortes incidences sur la mobilité et sur le choix du type de transport utilisé. Certaines femmes s’isolent socialement, observent un couvre-feu ou ne sortent qu’accompagnées. Certaines vont parfois simplement éviter certains modes de transports, voire reporter ou annuler un déplacement selon le sentiment d’insécurité perçu ou vécu.
Un outil pour porter un autre regard : l’analyse différenciée selon les sexes (ADS +)
L’analyse différenciée selon les sexes dans une perspective intersectionnelle (ADS+) est un outil d’analyse pour guider la prise de décision à diverses étapes d’un projet, d’une planification. Le but? Prendre en considération les réalités et les besoins différenciés entre les femmes et les hommes ainsi qu’entre les groupes de femmes et d’hommes de divers horizons.
Dans une question systémique comme la mobilité, l’ADS+ permet donc de bien ventiler les données selon les divers facteurs (caractéristiques démographiques; occupation; motorisation de la personne, etc.) afin d’éviter des angles morts qui pourraient désavantager certains groupes d’hommes ou de femmes. Par exemple, les conditions sociales d’accès aux services de transport ne sont pas les mêmes entre les femmes et les hommes et encore moins entre les différents groupes de femmes et d’hommes.
Déjà au Québec, la publication du guide d’analyse du genre adapté au domaine des transports produit par le ministère des Transports (MTQ) du Québec constitue un outil de référence en mobilité pour appliquer l’ADS+ à la fois dans la planification, le diagnostic et la mise en oeuvre de projets en mobilité.
Notez également qu’on peut retrouver sur le site du MTQ des analyses de la mobilité urbaine différenciée selon les sexes basées sur les données des Enquêtes origine-destination.
Quelles solutions s’offrent à nous ?
Il n’existe pas de recettes simplistes pour améliorer la mobilité des femmes, mais notons toutefois six pistes de solutions parmi les plus fréquentes ou porteuses :
1) Inclure systématiquement les données basées sur le genre (qualitatives et quantitatives) dans les recherches et études touchant la mobilité en adoptant une approche intégrée, en utilisant entre autres l’ADS+.
- Ex. À Berlin, le Département du développement urbain et de l’environnement a lancé en 2008 un programme de politique d’égalité des genres. Ce programme vise à faire de Berlin une ville plus agréable pour tous les résidents, quel que soit leur mode de vie, en utilisant des mesures d’intégration de la dimension de genre. Celui-ci prend en considération les conditions de vie et les préférences des genres lors du processus de planification du développement urbain. Il ne se concentre pas uniquement sur les besoins des femmes, mais plutôt sur les besoins divers de chaque genre, orientation sexuelle, groupe socio-économique, groupe d’âge, groupes culturels, etc.
2) Soutenir et encourager la participation des femmes dans toutes les étapes des processus décisionnels en matière de transport. Aussi, promouvoir la présence des femmes dans les métiers du transport, de l’aménagement, de l’urbanisme.
- Ex. La Ville de Vienne a mis sur pied une soixantaine de projets, dont certains en aménagement et mobilité, qui tiennent compte des réalités des femmes
3) Sensibiliser le grand public, les municipalités et les sociétés de transport collectif aux réalités différenciées selon les sexes dans le domaine des transports.
4) Améliorer l’accessibilité, la sécurité et le confort dans les modes de transport. Par exemple, la ville de Bolzano, en Italie, a mis en place diverses initiatives :
- un plan d’horaires afin d’aider les citoyens avec la conciliation famille-travail;
- Le service «Taxi Rosa» (Taxi Rose), offre de transport offerte aux femmes entre 22 h et 6 h (avec tarif réduit et horaire prolongé pour les femmes de 65 ans et plus).
- «Parcheggi Rosa» (Stationnement Rose), réservé aux femmes autour de la ville. Ils sont facilement accessibles, bien éclairés et à proximité des sorties de garage.
5) Améliorer la prestation de services en mobilité en tenant compte des besoins spécifiques des femmes (ex. revoir les services hors pointe pour répondre à leurs déplacements en lien avec les obligations familiales ou personnelles).
6) Améliorer et/ou adopter une approche inclusive dans la représentativité des différents groupes d’usagers.
- Exemple : à Vienne, les panneaux de signalisation sont passés de la représentation de l’homme typique à la représentation explicite de diverses personnalités participant à la vie publique. Ces rectifications visuelles sont visibles quotidiennement et agissent comme des symboles puissants.
En diffusant ces constats, Jalon souhaite favoriser la mise en place des solutions mentionnées plus haut, particulièrement la collecte de données genrées, qui est un outil primordial à la compréhension de la mobilité des femmes. Ces données sont d’importance pour permettre aux différents acteurs terrain (villes, groupes communautaires de femmes et autres acteurs de l’écosystème de la mobilité) de déployer des solutions adaptées aux réalités de toutes les femmes.
Crédit photo : À partir de la gauche, photos de Shutterstock/Nobelio; Muellek Josef (2 photos); Rafaelzenato. Récupéré de : https://www.planning.org/planning/2020/feb/mind-the-gender-gap/#vienna